林惺嶽
在「人間再造天堂」的網路裡編夢--寫在美岑新作發表之前
陳美岑個展--人間再造天堂,台北新苑藝術畫廊。2014年6月13日至7月13日
美岑即將發表最新系列畫作"天堂"。當我看到她托人送來的圖片及文字資料,並要求我寫一篇引介時,讓我感到為難,並覺得有些迷惑。因為在藝評這方面封筆已久,迷惑的是她的新作畫面表象雖易於辨認,卻難以解讀。然而顧及她一直埋首開拓新的畫面構思及造形語境的才華及毅力,值得動筆鼓勵!
美岑新作的每一幅畫都標舉出一顆或數顆大樹,從粗大的主幹長出眾多支幹再繁衍成複雜曲折的細枝,在細密的枝椏交錯中,赫然包挾著空中鳥瞰式的都市街道圖,猶如在樹枝間出現了蜘蛛網。乍看之下很容易令人望圖生義的以為在隱喻綠化都市,其實不然。雖然她對樹的描繪相當下功夫,但似乎不在表現樹的自然生態之美。因為光禿的樹一點也不綠色盎然,反而以膚色、紅色及紫色為基調,這就非常耐人尋味。
美岑以色彩顛覆了樹的自然綠意,依我看來是刻意異化了樹的常態以演生出人體生理的想像。的確,在精密醫學儀器的透視下,人體內的血管及神經的脈絡結構非常類似樹的造形。順此類似聯想,多少可以窺探出美岑的創作意圖,那就是經由樹的造形,隱喻人的血管及神經的脈絡,從四面八方延伸入象徵都市動線的結構裡去。微妙的是兩者之間並不衝突,而是逐漸的契合與通融。如此匠心獨運的巧思,正與傳統大相逕庭。
自從工業文明發達產生都市化以後,造成人口集中,而食、衣、住、行的工業產生在擁擠的生活空間中,提供了方便與舒適的享受。但都市棋盤化的規劃把人們納進了秩序井然的生活規範,加上動力與速度的效率與日俱增,也逐漸對人類的神經帶來了壓迫,因而產生緊張、煩躁、焦慮、失眠等等的後遺病癥。走在時代前端的敏感天才們,乃率先起而背棄都市文明的社會,紛紛回歸鄉村田園或遠赴異域的部落社會中返樸歸真,要不然就是鑽進心理底層的潛意識尋找童稚的天真。這是流行已久的現代主義繪畫崛起的論調之一。
然而時代的變遷,厭棄都市文明很難一成不變,距離工業革命三百年後的新世代,可能有不同的體驗及想法。因為他們從娃娃墜地到亭亭玉立的茁壯,都在城市裡翻滾。置身於五花八門賞心悅目的人工化自然裡,自有異於傳統的體會。在鋼鐵及水泥的叢林中,何嘗不能順著科技的演進脈絡,編織另類的夢想。在現在進行式的世界裡,一個能夠自立自主的女孩,隨興之所至,可以悠遊在世界各大都市裡,瀏覽不同的人文樣貌及各種工業設計的新奇。這也是有別於農業社會時代的眼界拓展及心胸舒坦。怪不得美岑把城市視為「人間再造的天堂」。
美岑的繪畫觀與我全然不同,學生走出老師的影響獨立另闢創作蹊徑,是一種可喜的現象。她是一位具有生命內省性創作潛力的人,面對她的創作,我只能虛心的去瞭解,不宜冒然妄加評斷。我想最適當的詮釋還是美岑的創作自白:
或許在我的天堂世界裡,我像是個隱形的蜘蛛在織網,建築連線並期待著什麼事情將會發生;或者更像是個微小的蟲子,迷失在我們這個多元多變的世界網際網路之中。
LIN HSIN-YUEH
WEAVING A DREAM IN THE NETWORK OF “REINVENTED EARTHLY PARADISE”
— Writing before Meitsen’s solo exhibition
A Solo Exhibition by CHEN Mei-Tsen, Reinvented Earthly Paradise - Between Taipei and Paris
Galerie Grand Siècle, Taipei, from June 13 to July 13 in 2014
Meitsen is going to show her latest series of paintings, “Paradise”. I was a bit embarrassed and confused when I saw the images and documents delivered by someone she asked. She wished me to write an introduction for her. I have stopped writing art critiques for a long time and I was confused by her new works’ surface which is easy to recognize but hard to decipher. However, considering that she has always been occupying herself in the exploration of new images concept and forms, such talents and perseverance is worth writing for!
In each of Meitsen’s new works, there is one or more big trees marked; several branches derived from the bulky trunk of limbs and extended to complicated winding twigs, and among the intricacy, there grandly embracing the bird-eye’s view of the city streets as if there were a spider web in the twigs. At first sight, it is easy to interpret the image as a metaphor for urban afforestation but it is not. At the point that the bald trees aren’t greenery at all and painted with skin color, red and violet as the ground color, this is very thought-provoking.
Meitsen changed the natural green of trees by choices of colors; in my opinion, she deliberately alienated the normal state of a tree to inspire the imagination for physical body. Indeed, under a highly-precise medical instrument, blood vessels and nerve system in a human body is very similar to the shape of trees. Following the associative thinking, much or less it enables us to pry into Meitsen’s intention, trees is to human blood vessels and nerve system as their extension from all directions is to the structure of city traffic flow. Such a subtle connection with no confliction and gradually matched and fused with each other. This unique ingenuity is just opposite to the tradition.
Since the industrial culture developed and gave birth to urbanization, there was population concentration, and industries of basic necessities of life appeared in the crowded living space, which on one hand provided comfortable and convenient enjoyment; on the other hand, the checkerboard pattern of city plan restricted people to fit into an ordered morality. Moreover, the efficiency of power and speed advances with the time started to oppress human nerves and generating the after-effect such as nervousness, anxiety, fidgety, and insomnia. Therefore, the avant-garde sensitive geniuses then started to abandon the civilized society and returned to the rural countryside or went to the foreign tribal society to go back to nature, or they slipped into the subconscious to seek for child’s naivety. The above-mentioned is one of the arguments of how the long-lasting Modernism painting merged.
However, as the time changes, the ways of abandoning civilization is hard to stay the same and the new generation after three hundred years from industrial revolution might have different experience and thoughts, as they were at nowhere else but the city to be born and grow up. In all sorts of beautiful artificial nature, it’s natural to have an experience differing from tradition. There is no good reason not to follow the technology development and weave an unconventional dream in the concrete jungle. In an on-going present world, this independent girl, with her ease and pleasure, travels the big cities all around the world and reads over all kinds of novel industrial designs and cultures, which as well is originated from a new point of view and mindset compared with the time of agricultural society, and small wonder that Meitsen views the city as “Reinvented Earthly Paradise”.
Meitsen’s viewpoint of painting is distinct from mine. It’s a heartening thing that student steps outside of a teacher’s shadow and makes her own way to create art. She is a woman who creates art with her potentially of life introspection. I, when facing her works, can only be humble and try to understand the messages behind; it would be inappropriate to jump into conclusion because the best interpretation would be Meitsen’s statements:
"Maybe in my Paradise, I am the invisible spider who weaves the web, builds the link and waits for something to happen, but I feel more like the petty insect who is captured by the fragile web in our moving world."
JEAN-LOUIS POITEVIN
revue art contemporain
LA NUIT PROMETTEUSE
Chen Mei-Tsen, Cloître des Billettes, Paris, du 2 au 15 avril 2008
www.lacritique.org/article-la-nuit-prometteuse
Chen Mei-Tsen a réalisé, vers 2001, un ensemble de vingt images qui, par la radicalité de leur propos, nous entraînent dans une zone qui existe en chacun de nous mais vers laquelle, le plus souvent, nous hésitons à voyager. Car cette zone est sombre, très sombre et pourtant pleine de promesses. Elle confine à la nuit, la grande nuit qui précède tous les commencements et évoque l'autre grande nuit, celle qui nous attend après la mort. En décidant de plonger son corps dans une malle noire remplie d'eau, en projetant sur cette double surface des éléments minéraux et végétaux divers, en photographiant ce monde primitif et en exposant à la verticale les photographies qui en résultent, elle accomplit un geste étrange qui nous permet de partager avec elle une expérience abyssale.
Il y a dans le travail de Chen Mei-Tsen une ligne directrice tout à fait singulière qui lui fait appréhender les commencements et la fin comme des états du corps à peu près semblables. Et en effet, face à ces images dressées comme des stèles sombres et brillantes à la fois, nous ne pouvons ignorer que ce que nous voyons est un corps, un corps plié comme furent longtemps pliés les cadavres dans les tombes. Ce corps semble s'enfoncer dans la nuit et s'absenter pour toujours. Couvert de traces, griffures du temps lui-même, et peuplé de reflets énigmatiques, pierres de temples ou veines puissantes de la vie qui trame sa renaissance dans les entrailles de la terre, ce corps féminin fait remonter pour nous des profondeurs de la nuit des temps le souvenir impossible de ce que nous sommes avant que nous ne commencions réellement à exister, avant que nous ne venions au monde.
Car entre la mort et la vie, Chen Mei-Tsen le sait et l'expérimente devant nous, il existe un univers impensable qui relie les signes de la fin aux promesses des commencements. Ce monde est composé de plis qui dessinent la carte du pays oublié, celui de l'attente, celui du suspens, ce monde qui n'existe pas et d'où pourtant nous venons et vers lequel, inévitablement nous allons. Cette carte est celle de la mémoire brûlée, du souvenir sans nom de ce moment où la fin redevient origine, ou le temps se replie sur lui-même pour s'engendrer à nouveau. Ce que nous donnent à voir ces photographies de Chen Mei-Tsen, c'est la manière dont ces souvenirs impossibles hantent inlassablement notre esprit sous la forme de rêves, d'images, de visions.
Ainsi, ce corps absent à lui-même, plongé dans l'eau de l'attente et de l'oubli, est en train de rêver, et ce que nous voyons affleurer à la surface de chacune de ces images, sont quelques-unes des strates complexes qui composent ces rêves. L'eau qui l'entoure est la forme souterraine du souffle et les reflets de pierre, de mousses, de trames végétales témoignent, eux, de ses devenirs possibles. Ainsi ce que Chen Mei-Tsen nous montre, c'est le secret de la transmutation, ce temps indécidable où le rêve, c'est-à-dire la matière - car qu'est d'autre la matière sinon la forme dans laquelle s'incarnent les rêves du vivant ? - nourrit la chair, irrigue le corps. C'est aussi de la source de toute pensée magique comme de tout enchaînement logique que ces images rendent compte.
Si ce corps plié jusqu'à l'offrande nous est offert comme une stèle, c'est qu'il n'est pas seulement mélange de matières. En effet, il recèle aussi en lui toute la puissance du signe et du symbole. Chacune de ces postures exhibe ce corps comme une lettre qui nous dirait, hors toute grammaire, que le sens même de la vie se trouve dans ce moment où le devenir souffle de l'eau passe traverse l'opacité de la peau pour devenir chair vivante. Cette opération seule la puissance magique des images permet de la faire exister aujourd'hui et seul un corps plongé dans le liquide absolu des commencements peut faire à la fois l'expérience de se vivre matière et symbole. Et c'est bien cette double magie, celle qui relève de la puissance du symbole et celle qui appartient à la vie même que ces images de Chen Mei-Tsen rendent pour nous effectives et sensibles.
J-PAUL GAVARD-PERRET
MEI-TSEN CHEN : FIGURES, TRACES, STRATES...
CHEMIN DE L'INTIME DU ZERO À L'INFINI
Mei-Tsen Chen, Galerie du Larith, Chambéry, du 5 au 28 avril 2007
Toute œuvre part d'une archéologie. Celle de Mei-Tsen Chen plus qu'une autre. Puisqu'il s'agit d'abord pour la photographe de créer une sorte d'archive personnelle. Peu à peu l'œuvre s'est mise en marche, comme, d'abord, à son insu. Mais les photographies ne font plus étalage d'un souvenir, elles ne se vouent pas au culte de la commémoration : elles représentent une autre forme de traces au sein d'un effet de glaciation, de froideur comme si l'artiste cherchait à saisir un temps qui nous dépasse…
Ainsi au moment où la Chine et Taïwan sont devenus des pays incontournables non seulement sur le plan économique mais sur la scène artistique - qui a tendance à prendre pour argent comptant le meilleur et le pire - l'œuvre de Mei-Tsen Chen appartient à la première catégorie. Elle livre la trace photographiée de corps humains repliés sur eux-mêmes, recroquevillés sur leurs propres chairs. Ces plis et replis sont pris au piège du verre et du végétal et figés dans la résine si bien qu'on ne peut pas ne pas penser à l'un des textes les plus pénétrant de Deleuze : "Le pli" en particulier lorsqu'il affirme que "tantôt les veines sont les replis de matière qui entourent les vivants pris dans la masse, si bien que le carreau de marbre est comme un lac ondoyant plein de poissons. Tantôt les veines sont les idées innées dans l'âme, comme les figures pliées ou les statues en puissance prises dans le bloc de marbre." Il existe ainsi chez la photographe taïwanaise une façon d'observer les choses familières qui transforme le microcosme en macrocosme. On passe de l'organique aux astéroïdes dans l'imaginaire de la photographe qui précise comment se constitue l'archéologie de son œuvre : "Différentes formes du sentiment d'exister peuplent le no man's land de ma mémoire. Si je tente de les répertorier, de les classer, ce n'est pas par souci chronologique, mais selon un ordre affectif ou émotionnel."
Moins que de saisir l'être la photographe s'intéresse donc à son "passage", et c'est ce qui donne à ses photographies leur étrangeté et leur violence. Avec tout son jeu, essentiel, de mise en scène, en boîtes et en plis Mei-Tsen Chen inquiète la vision sous son système d'ensevelissement et de révélation. L'œuvre constitue donc le catalogue de sa mémoire et lui permet d'y répertorier les moments vitaux qui lui importent en leur donnant une "existence" dans l'espace-temps au sein d'une topographie intime. Elle devient une carte en relief du sensible. C'est pourquoi à la manière du géologue qui découvre dans les couches minérales empreintes et fossiles, les strates successives de résine permettent à l'artiste d'offrir la trace photographiée de corps humains entiers ou dépareillés à la recherche peut-être d'une sorte de continuum à travers les séries ses "fossiles en deuxième état" ou ses "plis" d'où une sorte d'impossible incarnation. Avec une chaleur sans doute plus loin, plus bas, là où la figuration s'ensevelit comme si elle voulait préserver un mystère, voire un mystère érotique en un hiatus, un écart qui permettent, non de toucher à une intimité, mais à une sorte de vide en soi. A ce titre la photographie n'est plus miroir, ce n'est plus elle que nous regardons, mais elle qui nous regarde, nous glace et nous avale congelés sans nous donner de réponse.
Mais n'est-ce pas là une des manières de pousser la vérité dans l'immobilité des gisants, dans ces retranchements et plis où Éros rode mais où Thanatos n'est jamais loin, bref là où rien ne finit et rien ne commence ? Tout se passe comme s'il n'existait pas d'Histoire, en dépit de cette archéologie chinoise (mais plutôt universelle) et dans l'absorption des surfaces pour ce chaos sans nom auquel renvoie Mei-Tsen Chen. Dans le pressentiment qu'il ne peut pas en être autrement, ce qu'il faut retenir ce sont donc ces traces où la figuration à la fois se dévoile et s'ensevelit dans la précision épidermique et une sorte de théâtralité architecturale. En cette œuvre d'incarnation et de désincarnation, dans ce travail qui fait échapper l'art photographique à ces glaciations habituelles pour d'autres glaciations, une boucle se boucle. Il faut en retenir le froid même si un tel travail demeure habitée d'une émotion intense. Par sa froideur stratégique, Mei-Tsen Chen dit merde à la prétendue légèreté de l'être, au prétendu effet de réalité de la photographie. Surgissent alors ces "instantanés" d'où à la fois la mémoire semble retirée mais où celle-ci les a constitués là où, allez savoir comment, allez savoir pourquoi, il y a encore lutte entre Éros et Tanathos sans que soit résolue la double question cruciale : Cette lutte, au nom de qui? au fond de quoi ?
MORDECAÏ MOREH
artiste peintre
Paris 17 janvier 2007
Mei-Tsen CHEN était une petite fille espiègle qui courait derrière un papillon, fascinée par l'irisation magique de ses ailes !
Eblouie par les rayons du soleil matinal, elle trébucha et tomba dans l'étang.
Maculée de boue, déshabillée par les vagues, elle était nue, frêle et fébrile tel un mollusque parmi les fossiles.
Dans les entrailles de son cerveau enfiévré, elle perçoit le firmament avec des myriades d'astres-melons, de planètes-pastèques, de lunes-cacahouètes, le soleil-fraise-fournaise torride, Saturne est une pomme de tentation pour notre joie et notre plus grand désespoir !
Venus fille des écumes, chevauche les flots sur une coquille, la perle est une larme secrétée dans la détresse d'une nuit sans lune.
La naissance est un cri, la mort, un profond soupir, entre les deux : tant d'illusions et de prétentions.
Ah ! si seulement ma mère était restée aussi jeune qu'au jour de ma naissance !
HELENE BONAFOUS-MURAT
marchand et expert en estampes
extrait de l'interview
LE JOURNAL DES ARTS
no. 225 / du 18 novembre au 1 décembre 2005
2) Quels sont vos derniers coups de cœur artistiques (antiquaire, galerie, ventes publiques, foire, salon ou chez un collectionneur mais pas dans un musée)? Ca peut être aussi un achat personnel. Et pas exclusivement dans votre domaine.
Mon dernier coups de cœur, qui remonte à un mois : l'exposition d'une jeune femme taïwanaise, Mei-Tsen Chen, que je connaissais comme la compagne d'un graveur que nous suivons et exposons par ailleurs chez nous, rue de l'Echaudé. Je n'avais jamais vu son travail à elle, et cette exposition au petit Musée Guimard m'a subjuguée : d'abord à cause de l'harmonie rare entre le lieu et les œuvres qu'on aurait dites faites exactement pour lui. Je pense à une photographie monumentale de mousses dans les sous-bois de Meudon, longue de plusieurs mètres et qui épousait parfaitement la forme de la pièce en arc-en-cercle, tout en s'ouvrant sur le jardin du Musée, dont on aurait dit qu'il la prolongeait.
Le côté évolution sourde et organique de la vie en était le motif principal, à la fois évident et discret comme son sujet. Puis j'ai eu la même sensation devant les dessins-collages qui étaient présentés - des dessins au pointillé d'organes humains (cœur, cerveau, crâne) sur des papiers épais et cotonneux, avec des effets de veinures laissés par la colle déposée en sillons, en réseau ; des effets de brûlure du papier qui n'avaient rien d'artificiel, mais au contraire soulignaient la fragilité de toute chose ; l'inclusion dans une œuvre des cheveux de l'artiste comme un motif décoratif raffiné, mais qui là aussi laissait une trace plus profonde que ludique. Il y avait aussi des dessins étonnants produits par la prolifération contrôlée de moisissures sur la feuille, oubliée un moment dans l'humidité d'une cave du Jura !
Les œuvres, peu nombreuses, étaient toutes prolongées par des cadres anciens très choisis, qui leur donnaient une vie organique supplémentaire, et qui là aussi se prolongeaient dans les moulures et les motifs de Guimard, comme si le lieu était un grand corps qui les incluait - qui incluait aussi le spectateur. J'ai presque mauvais conscience à faire un discours intellectuel sur cette exposition qui m'a laissé une émotion très vive, et qui touche, avec une grande finesse, sans prétention ni pose artistique, à l'essentiel de la vie et de la mort, à ce qu'il y a d'ancestral et de plus ou moins enfoui en nous-même.
CHEN YING-TEH
commissaire de l'exposition
extrait du catalogue
JEUNES ARTISTES DE TAIWAN À PARIS
Centre Culturel de Taïwan à Paris
du 28 novembre 2003 au 23 janvier 2004
CHEN Mei-Tsen, ayant étudié à l'école des Beaux-Arts de Cergy-Pontoise ainsi qu'à l'école supérieure des études cinématographiques de Paris. Telle un bon metteur en scène, elle est habile à saisir toutes les expressions de la mémoire collectives, des tréfonds de l'âme et de la conscience. Tout d'abord, c'est avec une série intitulée Les replis qu'elle traduit la force des images qui la hantent. Les corps nus de femmes portent des zébrures évoquant les branches d'un arbre desséché, à moins qu'il ne s'agisse de crevasses et de cicatrices de sang, comme si l'on assistait à une mise en accusation. Il en résulte un sentiment de malaise et de sourde anxiété. Chen Mei-Tsen recourt également à la technique de la superposition de corps humains, de plantes ou de pierres pour exprimer sa sensibilité à l'égard des formes.
Dans la série Fossile, elle fixe des corps humains dans de la résine, comme s'il s'agissait de corps emprisonnés depuis la période glaciaire dans une gangue de glace, que des archéologues auraient exhumés. En les figeant ainsi dans une immobilité intemporelle, Chen Mei-Tsen les protège de toute décrépitude. La série Les plis, créée en 2001, présente des photos de corps courbés et déformés comme s'ils étaient emprisonnés dans de l'ambre jaune ou de l'agate. Tout autour des corps, il y a du verre cassé et des plantes d'où émane un miroitement irisé. Ainsi l'artiste surprend-elle le spectateur en lui offrant de la beauté dans cet environnement froid et inhumain.